Film: Lake Tahoe
Réalisateur : Fernando Eimbcke
Date : Juillet 2008
Projeté à Cannes en parallèle au festival et primé à Berlin 2008, le film a une carte de visite. Dans une interview, le réalisateur, Fernando Eimbcke, dit construire son film « une image après l’autre » et effectivement le résultat est proche de la photographie. L’effet en est accentué par de longs flashs d’écrans noirs qui cadencent les scènes et font penser à l’obturateur d’un appareil photographique. Le plan fixe qui s’en suit, laisse tout le loisir « de voir tout ce qui se passe dans le cadre, comme, par exemple, une branche qui bouge» nous dit encore le réalisateur. A la photographie filmée s’ajoute le théâtre filmé. Comme au théâtre, les personnages entrent par un coté de la scène, et sortent de l’autre, en traversant, un espace à deux dimensions comme s’ils jouaient devant une toile de fond sur laquelle l’on aurait peint le reste du décor. « Eliminer le superflu » pour laisser « place à l’histoire » et au « jeu des corps des personnages ».
Peu de dialogues et chacun a l’air de savoir ce qu’il a à faire, même s’il prend visiblement tout son temps pour le faire. Théâtre minimaliste donc, qui ne s’embarrasse pas de vraisemblance. Comme au théâtre l’objet est suggéré par sa fonction. Peu importe si la voiture est visiblement neuve et que le pare choc à juste été dévissé par l’accident. Juchée comme elle est, les dégâts devraient être bien plus important qu’un simple démarreur. Peu importe, aussi, si l’adolescente rencontrée allaite son enfant avec des seins qui sont visiblement trop naissants pour contenir du lait. Peu importe, enfin, si le personnage principal sillonne la ville à pied pendant des heures et passe des heures assis à attendre, le tout en une seule journée, ce qui fait, soit dit en passant, irrésistiblement penser à l’invraisemblable série télévisée « 24h chrono » avec Kiefer Sutherland. Visiblement, le réalisateur veut ici se conformer aux règles du théâtre classique, à savoir, l’unité d’action, l’unité de lieu et l’unité de temps.
Pourquoi Juan – c’est le nom du jeune adolescent – semble-t-il si détaché aux évènements. Lorsqu’il tente de réparer sa voiture, ne tente-t-il pas, par là, de « réparer quelque chose de bien plus important ». Son père vient de mourir. Et ici l’histoire croise celle du réalisateur et le film devient autobiographique car, en effet, Eimbcke raconte qu’à la mort de son père il a aussi « cassé la voiture familiale ». C’était, dit-il, une façon de « jouer avec sa vie » pour « échapper à quelque chose ». Juan, lui, est gardé en vie par les personnages qu’il rencontre.
Chacun de ces personnages lui amène une brique pour se reconstruire. Sa famille ne lui est pas d’un grand secours. Sa mère est dévastée. Son petit frère, dont on ne sait pas très bien au début s’il s’agit d’un petit garçon ou d’une petite fille, ne comprend pas très bien ce qui se passe. Mais bien entendu, pour Juan, c’est toujours vers chez lui que ses pas finissent par converger, et ceci lui apprend la résignation.
Le vieux garagiste en lâchant ces mots : « finalement c’est mieux comme ça » alors qu’il voit son chien – que Juan était chargé de promener – lui échapper pour se choisir une autre famille dans laquelle il semble si heureux – ce qui est d’ailleurs plutôt le comportement d’un chat – lui apprend l’acceptation.
Dans la scène finale du film, Juan et son petit frère sont assis, par terre, derrière la fameuse voiture, une tsuru, voiture japonaise vendue uniquement au Mexique, qui est enfin réparée. Juan nous donnent le sens du nom du film en enlevant un autocollant d’une localité où ils étaient partis en vacances en famille. Il s’agit du Lake Tahoe au Nevada de l’autre coté de la frontière. Le réalisateur dit « ne jamais y être allé » mais fait-il référence à la mythique série de western, Bonanza, qui fut tournée sur ce site grandiose et diffusée dans les années soixante dans de nombreux pays du monde. Une manière de le ramener encore une fois à son enfance.